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Le blog

  • Léa A.

À chacun(e) son yoga


Aujourd'hui, j'aimerais parler ouvertement de mon parcours, celui qui m'a amenée à penser le yoga autrement. Celui qui m‘a menée vers une arthroscopie de hanche en 2018. Se faire opérer d’une articulation abîmée à 27 ans alors que l'on se pense en bonne condition physique, qu'on travaille avec son corps quotidiennement, ça remet les idées en place. Accepter de se faire opérer, accepter qu'une partie de soi ne sera plus jamais comme avant, accepter de pratiquer autrement, de remettre en question son système de pensées, d'adopter un regard critique face à une pratique jusqu'alors sacralisée et jamais questionnée, tout cela n'a pas été facile.

Rétropédalage jusque octobre 2017. À cette époque, j’enseignais 5 heures de yoga par semaine et pratiquais quelques heures en solo à la maison. À chaque pratique, une douleur au niveau de l’aine droite se faisait sentir. Une douleur proche de la tendinite mais qui ne m’empêchait pas de pratiquer. Je percevais cette douleur comme un besoin d’étirement, dû à un muscle fragilisé lors d’un triathlon au printemps 2015. Depuis cet événement, j’avais toujours ressenti une gêne ou une douleur à l'aine sans y prêter plus attention que ça. J’ai continué à m’étirer, encore et toujours. Cependant, à partir d’octobre 2017 et au fil des semaines, la douleur s’est intensifiée et a commencé à s’accompagner d’autres difficultés : une sensation de blocage à l’intérieur de l’articulation lors de certains mouvements et une légère sensation de brûlure ou de bleu interne au niveau de la face externe de la tête fémorale. J’ai perdu toute mon amplitude de rotation interne, une partie de rotation externe. En janvier 2018, j’ai décidé de consulter. Une première échographie a permis d’écarter le pronostic premier de la tendinite. La première radiographie de face du bassin et des hanches semblait à priori okay, à l’exception d’une “tâche blanche” sur la tête du fémur droit. On m’a prescrit une IRM, un arthro-scanner et une consultation chez un orthopédiste. Quelques semaines plus tard, le verdict est tombé : je souffrais d'un conflit fémoro-acétabulaire par effet de came.

Un conflit fémoro-acétabulaire, c’est quoi ? C’est la rencontre anormale de la tête du fémur et de l’os concave de la hanche. Très littéralement, c’est un os qui se percute à un autre os lors de certains mouvements. Cette anomalie peut s’expliquer notamment par une malformation osseuse mais aussi une répétition excessive de mouvements à forte amplitude articulatoire. Elle est très courante chez les sportifs professionnels ou de haut niveau qui pratiquent les arts martiaux, le football, la danse, etc. Dans mon cas, les deux origines s’appliquaient : d’une part la tête de mon fémur droit n’était pas parfaitement ronde, d’autre part, j’y étais toujours allée fort avec les mouvements qui demandaient une ouverture et rotation externe de la hanche très importantes. J’ai fait de nombreuses années de patinage, de l’escalade, beaucoup d’heures de yoga, etc. Et à chaque fois, un objectif : toujours plus loin, plus grand, plus fort. La modération n’a jamais été mon fort. La performance, une réelle motivation.

Lorsque le chirurgien m’a expliqué la situation, j’ai pris une claque. Certes j’avais une malformation osseuse de la tête fémorale - donc un vrai problème médical, mais cette malformation était tellement petite qu’elle aurait pu rester anodine si je n’y étais pas allée si fort. Cette petite bosse aurait pu faire sa vie tranquille si je ne l’avais pas malmenée. Si j'avais su écouter mes limites. Il m’a dit : “Vos hanches ne sont pas faites pour le yoga.” C’était brutal, et peu prévenant. Je lui en ai voulu. Ce que j’ai entendu à ce moment-là, c’était “tu as échoué. Tu aurais pu mieux faire.” Si je voulais continuer le yoga, une seule solution, l’opération : elle consistait principalement en une fémoroplastie pour “limer” la malformation osseuse, ainsi qu’une réparation du labrum pour éliminer les calcifications. J’ai accepté l’opération et les conséquences : près d’un an de récupération et une hanche fragilisée à vie. Une opération, ça soigne, mais ce n’est jamais anodin.

On évolue actuellement dans une société de la performance. Où gagner ou faire toujours plus est l’objectif. On n’a jamais fini d’en faire plus. Le yoga ne semble pas épargné par cette tendance. Il n’y a qu’à regarder la vitrine du yoga sur les réseaux sociaux. Toutes ces postures incroyables, proches de la contorsion. Bien sûr le yoga prône l‘écoute et la bienveillance. L'apprentissage de son corps. Mais comment ne pas être tenté(e) par la performance quand la société est telle qu’elle est ? Comment ne pas vouloir atteindre toutes ces postures incroyables, quand c‘est tout ce qu’Instagram nous lance aux yeux ? Comment ne pas être fasciné(e) par la démonstration incroyable d’un enseignant ? Je n’écris pas pour dénoncer le yoga ou les enseignants qui m’ont poussée à aller trop loin parce que mon corps en semblait capable. Je n’écris pas pour transférer la responsabilité de mon opération sur autrui. J’ai été mal conseillée dans le passé, on m’a poussée trop loin, que ce soit en yoga ou au patinage ; mais j'étais toujours volontaire et en demande. Je voulais aller plus loin. Je voulais pratiquer plus pour “réussir” et être légitime dans ce que je faisais. Ne pas être la honte des profs de yoga qui ne sait même pas faire le grand écart... Je suis responsable de ma situation. Et c’est cette responsabilité qui me pousse à m’exprimer. J’écris pour mettre en garde et aider à faire évoluer les pratiques. Pour que le yoga responsable et individualisé devienne la norme. J’écris pour renforcer l’approche de la pratique que j’essaie de transmettre en cours. Le yoga – je m’arrêterai ici à son aspect physique – est un outil fantastique. Il assouplit, renforce musculairement, prévient certaines douleurs ou difficultés, etc. Mais comme toute pratique, pratiquer excessivement il peut détruire.

Lorsque l’on dit qu'il faut écouter son corps, on ne parle pas seulement d’écoute. On cherche à transmettre l’idée qu’il s’agit également d’apprendre à connaître son corps, à comprendre ses mécanismes et à travailler avec lui. Tous les corps sont différents et ne sont pas faits pour se contorsionner à l’extrême. Il n’existe pas de positions absolues au yoga. On ne pratique pas pour réussir. On pratique, pour pratiquer. L’idée n’est pas d’atteindre l’alignement soi-disant parfait d’une posture. Il existe autant de positions de yoga qu’il existe de corps. Pratiquer une position de yoga, c’est comprendre son intention, sa mécanique. Ce n’est pas se placer dans un alignement prescrit. C’est au pratiquant de définir ce qui est bon pour son corps. Bien sûr, en tant qu’enseignant, nous sommes là pour guider. Mais nous ne sommes pas là pour prescrire. Nous ne sommes pas là pour ajuster excessivement des corps dans des positions dans lesquelles ils ne sont pas faits ou prêts à aller d’eux-mêmes. Lorsqu’un enseignant propose différentes options, il le fait pour aider chacun à travailler le même élément de posture, mais avec ses dispositions particulières. Toutes les options se valent. Il n’y en a pas une supérieure à une autre. Elles sont généralement présentées dans une logique de progression ou de difficultés croissantes, mais une position adaptée bien exécutée sera toujours plus bénéfique qu’une option soi-disant supérieure exécutée sans conscience ni précision. Pratiquer avec des blocs ou des sangles ne veut pas dire qu’on est moins doué. Les accessoires peuvent aider à affiner et ressentir plus pleinement les effets d’une posture.

Accepter les limites de son anatomie peut être frustrant, voire même décevant ; mais une fois le travail d’acceptation démarré, on apprend à apprécier ses capacités et ce que notre corps a à nous offrir. Votre corps est suffisant et peut vous emmener très loin. Malgré ce que mon chirurgien a pu dire, tous les corps sont faits pour le yoga. Mais tous les corps ne sont pas faits pour le même yoga. Alors oui, je continuerai à proposer certaines postures dites avancées, mais d’autres non, je continuerai à vous faire travailler, à vous emmener vers vos limites. J’espère réussir à le faire de telle manière que chacun(e) se sente accepté(e) et bienvenu(e). Que chacun(e) pratique avec plaisir et sans jugement. Que chacun(e) soit fier/fière et honoré(e) des capacités de son corps. Que personne ne se sente infériorisé ou réduit à un échec. Le fait de se présenter chaque fois sur son tapis est déjà un succès. Parce que vous acceptez de vous rencontrer, d’être confronté(e) à vous-même pendant une heure ou plus et de prendre le temps d’être avec vos limites.

Love, Léa

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